vendredi, 12 juin 2020 15:59

Accès au financement : combler le retard des femmes

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Jim Yong Kim, ancien président du Groupe de la Banque mondiale« Les femmes portent la moitié du ciel », estimait Mao Zedong. Pensez aux femmes autour de vous — mères, épouses, filles, sœurs, tantes et grand-mères — et vous lui donnerez raison. Mais le monde des affaires n’a pas encore intégré cette réalité, ce qui pénalise la société tout entière.

Cela tient notamment aux problèmes d’accès au capital. À l’échelle mondiale, plus de 30 % des entreprises officiellement enregistrées appartiennent à des femmes. Pourtant, 70 % des petites et moyennes entreprises (PME) féminines dans les pays en développement sont soit exclues du système financier formel, soit dans l’impossibilité d’obtenir les fonds dont elles ont besoin.

 

Alors qu’en 2014, 65 % des hommes avaient un compte en banque, seules 58 % des femmes étaient dans ce cas. Cet écart, de 7 points de pourcentage, se creuse même à 9 points dans les pays en développement.

 

Tous les éléments disponibles attestent pourtant des incroyables retombées positives de la participation des femmes à la vie économique pour les familles, les communautés et les pays. Le simple fait de donner aux femmes les mêmes opportunités professionnelles que les hommes pourrait entraîner un gain de croissance allant jusqu’à 34 %. Sans oublier qu’en multipliant les entreprises détenues par des femmes, on multiplie aussi les sources d’emplois. Dès lors, l’objectif visant à mettre fin à l’extrême pauvreté serait atteint beaucoup plus rapidement.

 

Mais pour cela, il faut un effort concerté des gouvernements, du secteur privé et des institutions multilatérales (y compris le Groupe de la Banque mondiale) pour combler l’écart financier entre les hommes et les femmes et accélérer la croissance économique durable.

 

C’est pourquoi je me réjouis de l’initiative prise voici à peine quelques jours, lors du sommet du G20 à Hambourg, en Allemagne, par 13 pays dans le but de débloquer plus de 1 milliard de dollars de financements en faveur des entreprises détenues par des femmes dans les pays en développement.

 

L’Initiative de financement en faveur des femmes entrepreneurs (We-Fi) devrait, par son envergure internationale, doper considérablement l’accès au capital. Son objectif est d’investir dans des projets et des programmes d’appui aux PME féminines, partout dans le monde. Parallèlement, il s’agit aussi de réviser, avec les gouvernements concernés, les textes de loi et les réglementations restreignant l’activité des entrepreneuses.

 

L’initiative We-Fi ne part pas de rien : elle vient compléter des activités que nous avons déjà engagées et bénéficiera à ce titre de l’expérience acquise avec des partenaires à la fois publics et privés.

 

Les nouvelles technologies nous aident par exemple à contourner l’éternel obstacle de la fourniture de garanties pour emprunter, auquel se heurtent de nombreuses femmes. Car les garanties sont en général fondées sur des actifs immobiliers — une condition que les femmes ont beaucoup de mal à remplir puisque leur nom figure rarement sur les titres officiels.

Avec Ant Financial en Chine, nous mettons au point le premier programme de financement sur Internet conçu pour évaluer la cote de solvabilité des femmes chefs d’entreprise sur la base de données transactionnelles et comportementales au lieu de prendre en gage des titres et des avoirs (bâtiments ou stocks par exemple).

 

En Éthiopie, une expérimentation financière fait appel à des tests administrés sur tablettes pour prédire la probabilité de remboursement d’un emprunt par telle ou telle personne. Si ce type d’innovations peut fonctionner dans des régions aussi différentes que la Chine et l’Éthiopie, il n’y a aucune raison pour qu’elles échouent ailleurs. Nous nous employons donc à les introduire dans d’autres pays.

 

Notre travail en Éthiopie a également permis de constater que de nombreuses femmes entrepreneurs étaient piégées dans un entredeux inconfortable : leurs besoins financiers sont trop importants pour des institutions de microfinance mais trop modestes pour des banques classiques. Nous avons donc aidé les organismes de microfinance à relever leurs plafonds d’emprunt et les banques commerciales à abaisser leurs seuils. Aujourd’hui, entre 2 et 4 millions de dollars sont prêtés chaque mois de manière durable à des entrepreneuses qui n’avaient auparavant pas accès au crédit. Le succès est tel que nous importons ce modèle en Indonésie : avec les pouvoirs publics, nous allons aider les femmes chefs d’entreprise à accéder au capital pour démarrer ou développer une activité.

 

La résolution de la question des garanties et l’ajustement des prêts aux besoins des femmes sont essentiels, mais il reste encore beaucoup à faire. Ces dernières se heurtent en effet à toute une série d’obstacles, qui vont de l’accès aux réseaux et aux possibilités de perfectionnement au manque de temps pour se consacrer à une entreprise en passant par des normes culturelles restrictives.

 

Face à ces contraintes, nous avons lancé une expérience de formations à l’initiative individuelle au Togo, un pays à faible revenu, pour voir si cela permettait d’acquérir des traits de caractère — comme l’autonomie et la persévérance — indispensables pour interagir au mieux avec les autres.

 

De fait, plus qu’une formation classique de gestion, cette initiative a eu des effets visibles sur le chiffre d’affaires des entreprises détenues par des femmes, qui a progressé jusqu’à 40 %. Forts de l’expérience togolaise, nous sommes en train de mettre sur pied des projets de développement des compétences au Mexique, en Mauritanie, au Mozambique et en Éthiopie.

 

Pour permettre aux femmes de refaire leur retard économique, les défis sont multiples. Mais les solutions aussi. Nous en savons tous les jours un peu plus sur les mesures efficaces pour étendre l’accès aux capitaux, mieux répartir les tâches familiales, accélérer l’inclusion financière, former les femmes entrepreneurs et les aider à se positionner sur des débouchés plus rentables.

 

L’émancipation économique des femmes est un enjeu moral mais c’est aussi un impératif économique : quand les femmes peuvent accéder aux capitaux et aux marchés, elles créent des entreprises, les font fructifier et contribuent ainsi au bien-être du pays tout entier. Aucun pays, aucune organisation, aucune économie ne pourra exprimer tout son potentiel et relever les défis du 21e siècle sans garantir la participation pleine et entière des femmes et des hommes sur un pied d’égalité. Plus nous agirons vite sur ce front, plus nous parviendrons à ne sortir de personnes de la pauvreté.

 

Jim Yong Kim

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