vendredi, 12 juin 2020 15:46

La violence à l’égard des femmes, cette pandémie fantôme : Déclaration de Phumzile Mlambo-Ngcuka

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Avec 90 pays en confinement, quatre milliards de personnes sont appelées aujourd’hui à rester chez elles pour se protéger contre la contagion mondiale du Covid-19. Mais cette mesure de protection cache un autre danger mortel. Nous voyons se développer une pandémie fantôme, celle de la violence à l’égard des femmes.

Alors qu’un nombre croissant de pays déclarent des cas d’infection et imposent un confinement, les lignes d’assistance téléphonique et les centres d’accueil pour les victimes de violence domestique du monde entier font état d’une augmentation des appels à l’aide. En Allemagne, en Argentine, au Canada, en Espagne, aux États-Unis[1], en France et au Royaume-Uni[2], les autorités gouvernementales, les activistes des droits des femmes et les partenaires de la société civile dénoncent une augmentation des rapports de violence domestique pendant la crise, ainsi qu’une recrudescence des demandes d’hébergement d’urgence[3,4,5]. À Singapour[6] et à Chypre, les numéros d’assistance téléphonique ont enregistré une hausse des appels de plus de 30 pour cent[7]. En Australie, 40 pour cent des acteurs qui luttent en première ligne contre la violence domestique ont signalé, dans une enquête menée en Nouvelle-Galles du Sud, une augmentation des demandes d’aide face à l’escalade de la violence[8].

Le confinement exacerbe les tensions et le stress créés par les soucis de sécurité, de santé et d’argent.Il renforce par ailleurs l’isolement des femmes ayant un partenaire violent et les sépare des personnes et des ressources les plus à même de les aider. C’est la tempête idéale pour laisser libre cours aux comportements violents et dominateurs derrière les portes closes. En outre, alorsque les systèmes de santé sont à la limite de la rupture, les refuges pour les victimes de violence domestique atteignent eux aussi leur seuil de saturation, un déficit de services encore aggravé lorsque ces refuges sont réquisitionnés pour étoffer les mesures d’urgence contre le Covid-19.

 

Avant l’apparition du Covid-19, la violence domestique constituait déjà l’une des principales violations des droits humains. Au cours des 12 derniers mois, 243 millions de femmes et de filles (âgées de 15 à 49 ans) dans le monde ont été victimes de violence physique ou sexuelle de la part d’un partenaire intime. Alors que la pandémie de Covid-19 poursuit sa progression, ce nombre devrait vraisemblablement augmenter, entraînant de multiples répercussions sur le bien-être des femmes, leur santé sexuelle, reproductive et mentale, ainsi que sur leur capacité à participer et à diriger la relance de nos sociétés et de notre économie.

 

La sous-déclaration généralisée de la violence domestique et d’autres formes de violence rend déjà difficile les interventions et la collecte de données en temps normal, avec moins de 40 pour cent des femmes victimes de violence qui demandent de l’aide ou portent plainte, et moins de 10 pour cent d’entre elles qui s’adressent à la police. Le contexte actuel rend ces signalements encore plus compliqués, notamment en raison de l’accès limité des femmes et des filles au téléphone et aux numéros d’urgence et de la perturbation des services publics tels que la police, la justice et les services sociaux. Cette perturbationpeut également compromettre la disponibilité des soins et du soutien dont les victimes ont besoin, comme la prise en charge médicale du viol et l’aide psychologique et psychosociale. Elle fait également le jeu de l’impunité des auteurs de violence. Dans de nombreux pays, la législation n’est pas vraiment du côté des femmes : 1 pays sur 4 ne dispose pas de loi protégeant spécifiquement les femmes contre la violence domestique.

 

Si nous ne faisons rien, cette pandémie fantôme aggravera également l’incidence économique du Covid-19. À l’échelle mondiale, le coût économique de la violence à l’égard des femmes a déjà été estimé à plus ou moins 1 500 milliards de dollars. Ce chiffre ne peut qu’augmenter, car la violence s’intensifie aujourd’hui et se poursuivra au lendemain de la pandémie.

 

Nous devons lutter contre la hausse de la violence à l’égard des femmes en intégrant de toute urgence des mesures dans lesplans de soutien et de relance économique qui répondent à la gravité et à l’ampleur de ce défi et reflètent les besoins des femmes confrontées à de multiples formes de discrimination.Le Secrétaire général des Nations Unies a appelé tous les gouvernements à faire de la prévention et de la réparation des actes de violence à l’égard des femmes un élément clé de leurs plans nationaux d’intervention contre le Covid-19. Dans tous les pays, les refuges et les numéros d’urgence pour les femmes doivent être considérés comme des services essentiels, dotés de fonds spécifiques et soutenus par d’importants efforts de sensibilisation quant à leur disponibilité.

 

Les organisations de femmes et les communautés locales ont joué un rôle crucial dans la prévention et dans les réponses apportées aux crises précédentes et elles doivent être fermement soutenues dans les actions qu’elles mènent en première ligne, y compris par des financements garantis à plus long terme. Les services d’assistance téléphonique, l’aide psychosociale et les conseils en ligne doivent être renforcés grâce aux solutions technologiques comme les SMS, les outils et les réseaux en ligne pour étendre le soutien social et atteindre les femmes qui n’ont pas accès au téléphone ou à Internet. Les services de police et de justice doivent se mobiliser pour veiller à ce que les actes de violence perpétrés à l’encontre des femmes et des filles soient traités en priorité et que leurs auteurs ne restent pas impunis. Le secteur privé a également un rôle majeur à jouer en diffusant l’information, en alertant le personnel sur les faits et les dangers de la violence domestique et en encourageant la prise de mesures positives, comme le partage des responsabilités de soins à la maison.

 

Le Covid-19 nous met déjà à l’épreuve d’une manière que la plupart d’entre nous n’a jamais connue, provoquant des chocs affectifs et économiques que nous avons du mal à surmonter. La violence qui se révèle aujourd’hui comme un sinistre aspect de cette pandémie est un miroir et un défi pour nos valeurs, notre résilience et notre humanité partagée. Nous devons non seulement survivre au coronavirus, mais également renaître de cette crise en plaçant la puissance des femmes au cœur de la reprise.

 

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